« Plus c’est sordide, récent, dramatique… plus ça attire » : entre pèlerinage et voyeurisme, pourquoi le dark tourisme peut devenir problématique

« Plus c’est sordide, récent, dramatique… plus ça attire » : entre pèlerinage et voyeurisme, pourquoi le dark tourisme peut devenir problématique

  • Camps de focus, lac radioactif, fait divers macabre… Des drames humains ou des catastrophes naturelles secouent de nombreuses régions du monde.
  • Des touristes transforment ces ruines, ces websites devenus dangereux et ces zones de drame en lieux mémoriels, expériences immersives ou photogéniques.
  • Un phénomène en pleine croissance qui n’est pas sans poser des problèmes selon un chercheur.

Bienvenue à Pripyat dans le centre de l’Ukraine. La ville se trouve à moins de quatre kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl, théâtre, en 1986, de la plus grande disaster industrielle du monde. La ville, peuplée à l’époque de 50.000 habitants, se retrouve aujourd’hui désertée. Mais beaucoup de touristes se pressent pour découvrir les ruines et ses paysages apocalyptiques dignes d’un movie de science-fiction.

D’autres zones de guerre, cimetières, vestiges d’une tempête ou scènes de crimes passées fascinent. Des touristes font tout pour les visiter. En tête de liste, on retrouve la forêt d’Aokigahara au Japon (également surnommée la forêt des suicidés), le cadre de l’assassinat du président Kennedy à Dallas (États-Unis), les ruines de Pompéi (Italie) ou encore le lac radioactif de Chagan (Kazakhstan). Objectif de ce tourisme macabre : conduire les voyageurs vers des lieux marqués par la tragédie, la peur, la souffrance ou la désolation.

Sébastien Liarte, professional Unys et professeur à l’Université de Lorraine en sciences de gestion au bureau d’économie théorique et appliquée, juge ce phénomène « en pleine croissance » : « Le but de la visite, c’est la mort. Certains lieux, comme des maisons hantées, deviennent des scènes de divertissement et de spectacle. À Londres, par exemple, vous pouvez suivre le parcours sordide de Jack l’Éventreur en passant par les maisons où il a tué ses victimes. D’autres aboutissent à des lieux de mémoire (plages du débarquement, bataille de Verdun, etc.). »

Problème : la frontière entre la mémoire et le morbide reste ténue : « Tout dépend des motivations des vacanciers. Certains font de ces lieux des hommages, organisent des pèlerinages et l’utilisent comme source d’apprentissage historique. Mais d’autres en font un espace de voyeuristes », déplore le chercheur. Sébastien Liarte prend l’exemple du quai de la Vologne où un pompier a découvert le corps du petit Grégory en 1984 : « Le maire de Docelles a dû installer une aire de camping. Les caravanes faisaient tout pour se placer au bord de la rivière jusqu’à s’y embourber. »

Entre hazard et récupération politique

D’autres lieux, théâtres dramatiques, ne se situent pas au bon endroit et en deviennent dangereux : « À Paris, des touristes déposaient des fleurs sous le pont de l’Alma au milieu de la circulation, à l’endroit même où la voiture de Lady Diana a percuté un pylône », retrace Sébastien Liarte. D’autres visiteurs prennent trop de risques, s’alarme le chercheur : « Certains s’approchent au plus près des camps de base de cartels de trafiquants de drogue associés à de multiples assassinats. » Le chercheur nous rappelle l’affaire Otto Warmbier. Ce touriste américain a voulu repartir de Corée du Nord en volant une affiche. Lourdement agressé, il a plongé dans le coma avant de mourir quelques mois plus tard.

Des vacanciers s’aventurent dans des zones où la nature reste instable : « Dans les catacombes, des éboulements peuvent se produire et des visiteurs finissent par se perdre. Même si ces comportements restent marginaux, ils imposent à la collectivité d’organiser à minima ces lieux de tourisme parce qu’on ne peut pas les empêcher de venir », regrette le chercheur. Mais régir un lieu « dark » peut tourner au casse-tête pour les collectivités : la tombe ou la maison d’une célébrité controversée apparel followers et détracteurs et génèrent des tensions. « Du côté de Toulouse, des policiers gardent en permanence la tombe de Mohamed Mehra pour éviter qu’elle devienne un lieu de pèlerinage », reprend le chercheur.

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Quand les réseaux sociaux accentuent le phénomène

Les réseaux sociaux pervertissent souvent ce tourisme morbide. « Instagram et TikTok, notamment, poussent à rechercher des lieux visuellement marquants et hors des sentiers battus », s’inquiète Sébastien Liarte. Résultat : une minorité des touristes cherche à repousser les limites du spectaculaire. « Plus c’est sordide, récent, dramatique… plus ça attire. En Ukraine ou au Japon, des visiteurs, souvent munis de compteurs Geiger, posent devant les zones contaminées avec une volonté de mettre en lumière leur prise de risques », glisse le chercheur.

Dans les camps de focus, beaucoup de visiteurs s’adonnent aux selfies au milieu des tombes. Le chercheur s’interroge sur ce qui devient socialement acceptable : « Justin Bieber a par exemple posté la photo de son texte écrit sur le livre d’Anne Frank précisant qu’elle aurait pu devenir une Belieber… Si les jeunes, avec leurs codes, expliquent où ils sont et ce qu’ils font, ça peut marquer la réalité de ce qu’il s’est passé », conclut Sébastien Liarte.

Geoffrey LOPES

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